Peregrinations

"A l'aulne du Seigneur":

Quel étrange paysage se dévoilait à mesure que mes pas lourds réduits au silence par la terre boueuse en laquelle s'enlisaient mes chausses, une route souillée par les intempéries et le fracas de sabots ayant par milliers brisé le tertre rectiligne sur lequel j'étais engagé, sous une lourde chappe traînant jusque dans la fange et me couvrant tant de la pluie que des regards que je sentais poindre du bas-côté du sentier, où sous les tonnements et les averses diluviennes ils laissaient paraître serpes et faucilles, reverberant la pesante lueur teintant les cieux en éclairs sifflant depuis le sol herbeux d'où jaillissaient les instruments maniés machinalement. Je ne croisais qu'un convoi, dont il me semblait hélas émaner une puanteur comme celle s'exhalant des fosses portuaires de Loyda où gisent les cadavres anonymes saturant l'air de ces execrables effluves que je ne pouvais affirmer reconnaître, tant déjà l'air de ce pays m'apparaissait étrange, et lui-même chargé de pestilantielles odeurs dont je ne pouvais tirer l'origine.

#C'est donc cela cette autre Terre, Yam tout puissant... Où t'y ont-ils déposée, ma soeur?#

Passant le regard sur ce morne décor, je demeurais perplexe quant à mes chances... de la trouver sauve, mon cas s'avérait encore plus critique, non que ma fidelité en Sa Majesté Desten ne s'était ébranlé, aussi avais-je donné mes ordres auparavant, mais je me devais de trouver moi-même réponse. En ce territoire hostile, chaque regard que je percevais n'en était pas moins un glaive dont je sentais le fil frôler ma nuque, si les paysans que je croisais ne devaient guère me connaître, tous aussi miséreux que ceux de mes terres, une angoisse demeurait, et sous ma burre maculée de boue et me souillant jusqu'aux chausses, je restais attentif aux bosquets se dévoilant, aux figures se détachant d'une nuit sous la chappe écarlate, et aux éclairs fondant des herbes, les couchant sous le fil des outils les fauchant.

Original, un autre péquenaud qui avance à quelques pas, sur cette fange se dérobant au gré de l'eau s'écoulant sur le sentier, son allure est des plus triviales, mais de même vêtu, dépassant d'une tête l'individu à quelques pieds que la pluie et sa silhouette couverte d'une burre sombre dissimulent par ce jour aux cieux noirs, je sens dans l'air pesant des volutes familières, que je hume en m'arrêtant un instant, puis considère alors qu'elles s'échappent, de même que le malandrin, que je tente sur l'instant de rattraper, parvenant en son dos en appliquant ma main sur son épaule, et l'étreignant avec force le menant près d'un ruisseau déjà gorgé par l'averse, mais hors d'atteinte des oreilles de ces paysans.
"Qu'est-ce que tu fous là, soldat? T'as envie de te faire buter, c'est pas vrai..."

#Soldat?#

Cela fut l'unique pensée qui me vint, alors qu'une force brute transmise par un bras puissant me traînait, ma surprise et ma situation périlleuse me contraignant à l'impuissance, mon silence demeurant alors que l'ombre me tirait hors de la voie fangieuse, et faisait sonner une voix que je reconnus, sans pour autant me souvenir d'où.

"Qu'est-ce?" lâchais-je enfin, alors que je pouvais de moitié me tourner vers mon kidnappeur, au physique massif sous une tenue lourde et complète le dissimulant d'aussi bien, me menant à quelque stupide reflexion.

#Comment a-t-il pu même m'associer à un soldat?#