Pilier d'Alatar

Le splendide monument reposait, silencieux, perdu dans des bois perdus, abandonnés aux créatures sauvages, qui au confluant du roc et de la nature vive se faisaient les auditeurs silencieux des râles qui émanaient du centre de ce monde, s'échappant par la gorge béante et laissée aux ténèbres qui déchirait ces bois, et s'étendait à la base de l'antique bâtisse telle une gueule noire et menaçante attendant d'engloutir le monument retenu par la falaise sur laquelle il reposait. Du sentier serpentant le long du gouffre, Ellamin retint son souffle, ne pouvant détacher son regard du temple oublié, honni par Hommes et Dieux, fouetté par l'haleine moite et puante s'échappant de la gorge que longeait le paladin et son équipée, qu'il précédait, lui adressant un regard alors que seul les hurlements bestiaux en provenance des bois couvraient le lieu.

"Le pilier d'Alatar. Enfin..."

La face marquée d'un rictus, l'érudit sous sa chape toisa les quelques acolytes, qui erraient peu confiants sur le sentier, ne délaissant du regard le précipice d'ombre se tenant à leurs pieds. Brisant les échos lancés par le gouffre et courant dans la forêt environnante, Ellamin fit claquer la hampe de son jonc sur le sentier branlant, son regard s'obscurcissant à l'encontre du groupe qui le suivait, avant de revenir au monument, et lancer quelque injonction accordant à sa voix quelque tonalité n'augurant nul bon auspice.

"Dépêchez, il nous attend..."

Elle connaissait ce lieu, cette gueule exhalant cette moiteur et ces râles, si elle ne savait d'où, cet air puant et lourd lui était familier, et avait déjà caressé son visage, ainsi que ses yeux lui dictaient, courant sur les roches, ce sentier étroit et bancal, mais sur lequel elle dansait comme sur un fil, son pantin en mains, dont l'exécrable odeur qui en émanait se confondait à cette étrange pestilence ambiante, pourtant balayée par les vents balayant la gorge depuis la plaie béante éventrant ces bois.

~On y est, mon frère! Père a apposé son sceau sur la roche, et son doux parfum y réside encore. Un effort!~

Le pantin, laquais drapé de vêtements grisâtres masquant jusqu'à son nez un corps froid et rendu blâme par ce climat, suivait la mesure de son maître, et en symbiose avec la bête lui prêtait son cadavre, qui avançait parmi la cordée, et balançait son regard sur l'humain dressé plus avant. Percevant l'aura commune de l'homme, elle y posa le regard, mais revint à la ruine siégeant plus haut qu'il désignait en vociférations des commandements dont elle pouvait s'accommoder.

~Père nous a réservé une surprise, mais nos méchants frères lui ont désobéi. Mais nous sommes de bons enfants!~

Suivant Ellamin de près, Sëya avait une cape vert d'eau sur ses épaules, et un capuchon sur la chevelure . Examinant toute chose qui se trouvait autour d'elle, Sëya était emerveillée par tout ce qu'elle voyait . Elle qui n'avait jamais vu grand chose dans sa vie, voilà qu'elle était gâtée .
Aux paroles d'Ellamin, la jeune Oracle demanda d'un ton plutôt curieux :

"Qui nous attend ?"

Marchand soigneusement sur le sol, et ses yeux se promenant sur tout ce qui lui semblait interessant, Sëya attendit la réponse d'une oreille fine et à l'écoute .

"Son réel confident."

Ellamin ne prit la peine de porter le regard à l'enfant qu'il précédait, dont la tonalité employée suffit à conforter l'érudit de ce que sa réplique ne devait être moins vague, si tant est qu'elle le fut dans l'esprit de la jeune fille, dont le paladin soupçonnait quelque clairvoyance, malgré son apparente ingénuité. Etrangement, ce fut également le Pilier, et la gorge déchirant le tertre sur lequel il se dressait, qui retint l'attention et par-là le regard d'Ellamin, émettant en son for quelques interrogations, non craintes, mais soupçons.

"Mhm .." fit la jeune femme en guise de réponse .

Elle savait, par le temps passé auprès d'Ellamin, que ce dernier fournissait souvent des réponses qui en dissimulaient d'autres . Ainsi, la jeune Oracle tacha de s'en satisfaire, même si elle reflechissait toujours dessus .
Son attention, toujours captivée par ce qui l'entourait, fut soudainement troublée . S'arretant un bref instant de marcher, Sëya reprit rapidement sa marche, et vint se poster non loin d'Ellamin . C'est avec une voix legerement inquiète qu'elle lui demanda :

"Ne sentez-vous rien ? .."

Rehaussant son regard vers la bâtisse, Sëya commençait à redouter cet endroit .. Peut-être qu'elle n'était pas faite pour y aller .. Enfin, dans tous les cas, elle irait . Elle le souhaitait, puis elle le devait .. Incertitude supplémentaire, a chasser rapidement .

"Si, de l'appréhension dont vous aurez à coeur de vous débarrasser."

Le paladin jetta son regard en arrière, toisant froidement la pythie, dont la menue frayeur palpable sembla susciter le courroux de l'érudit, peu enclin à laisser la jeune fille se murer dans ses frayeurs au point de ne pas réagir comme l'envisageait l'homme.

"Si votre crainte est trop grande, offrez vous directement à cet abîme, cela aura le mérite de vous débarrasser de tous les menus tracas dont la vie vous a affublé. Mais si vous daignez bien contenir vos émotions et cadrer vos pensées, cela ne sera plus la peine."

*Je t'offre de savoir Sëya, mais au prix absolu.*

Son regard revenant au monument, le paladin le fixa longuement, mais avec une attention supérieure, trahie par ses sourcils bas assombrissant son regard et sa mine de concert. Soufflant bruyamment, l'érudit reprenait sa marche, lançant un regard furtif et prédateur au reste de l'équipée.

"D'ici à ce que vous ayiez fait votre choix, on avance..."

"Certes .." lacha-t-elle en continuant son chemin .

Là n'était pas ce qu'elle avait essayé de dire à Ellamin, mais ce dernier étant peu enclin à la conversation, Sëya se décida finalement à lui faire confiance . Après tout, seul lui savait où il les emmenait .
Redevenant silencieuse, la jeune Oracle tacha d'ôter les nombreuses alertes de son esprit, malgrès le fait qu'elles ne souhaitaient disparaître . Un soupir s'echappa des lèvres de Sëya, qui se les mordit tout aussitôt après .
Qu'y pouvait-elle ? Ce n'était pas sa faute si ses dons n'arretaient pas de s'activer dans son corps et son âme ..

Haussant le sourcil, le paladin accueillit la réplique de l'enfant d'un regard jetté en arrière, et un pâle et éphémère sourire, bien que la reflexion dans laquelle il se jettait assombrissait fortement son visage, et la teneur de ses pensées. Laissant là cette esquisse de satisfaction, l'érudit fit tout de même halte vers la forme exsangue qui vacillait en arrière, et dont les yeux vitreux laissaient percer une étincelle de vie dont se saisissait anxieux Ellamin, intuitant à l'individu livide et flageollant quelque secret dont une mimique du bougre sembla attester de l'attention qu'il portait.

*Que tu aies dit vrai, soeur, que tu aies dit vrai...*

~Mère est là, si proche, mon frère! Sa chaude étreinte nous attend, que perdons-nous de temps?~

Elle tressaillait, la bête, tapie dans les entrailles de son pantin à la face drapée d'ombres, son impatience agitant les membres de la victima, qui avançait inlassablement, mais si lentement à ses yeux. Les yeux... Ceux du mage à la robe de sang faisait bouillir le sien, passionnait l'hère qui toutefois s'interrogeait, sur le regard de ce prêtre qui perçait celui de ses semblables pour plonger jusque dans les ténèbres de l'âme.

~Oui, Père nous aime, mais nous l'aimons plus encore, c'est si beau! Offrons-le, offrons-nous, frère, avance, que tes jambes s'effondrent, que rampant sur tes moignons nous arrivions devant la face virginale de Mère.~

La noire conscience sifflait, chantait aux oreilles du mort ses imprécations, s'agitait, tressaillant alors que l'enveloppe reprenait la marche, les pas suivants celui du meneur, dont ne se détachait ce regard vitreux, par lequel elle observait le bel élu, dont la voix lui indiquait le sentier à emprunter, et faisait marcher sa poupée.