Au revoir ? Ou Adieu... ?

Temple de Baal... L'endroit est-il a respecter ? Ou donnerait-il plutot matiere a rire ? Car combien de fideles comprenaient-ils veritablement l'objet de ce culte, sans pour autant aller droit au fanatisme, qui semblait pourtant dominer la majorite de la population ? Si encore elle-meme pouvait etre bien certaine d'en comprendre absolument tous les fondements... De toute maniere, le temps etait venu pour la jeune souveraine de se replonger dans les textes sacres, fondateurs de cette religion si complexe a analyser... du moins pour elle. En etait-il de meme pour Glistern ?

* Surement que non... quiconque assimile correctement theories et idees, ne doit sans doute guere rencontrer de problemes face a cette... reflexion... *

Car c'etait bien pour lui que Jayla Svit Kona se trouvait au temple. Une certaine serenite l'envahit pourtant, des que les portes du sanctuaire se refermerent derriere elle, dans un claquement sonore rassurant. Fermant les yeux quelques instants, le bruit des dogmes et prieres religieuses recitees et resonnant contre les parois la plongeaient dans une torpeur agreable favorable au calme et a la paix interieure.
Elle se retrouverait seule une fois de plus. Pour combien de temps ? Il lui etait parvenu qu'Ellamin s'absenterait de nouveau. Bien que sa confiance envers lui soit totale, elle espera fortement que, malgre leur precedent accrochage, il reviendrait comme toujours. Et, plus que tout, elle espera qu'il viendrait la rejoindre ici, avant son depart.
Rouvrant les yeux, se redressant, l'elfe noire fit quelques pas, dans l'intention d'allumer un nouveau cierge. A sa vue, ses pensees deriverent jusqu'a sa precedente venue en ces lieux. Elle etait venue bruler les batonnets sacres egalement... mais, dans ses demandes, ses geniteurs etaient presents... plus maintenant. Et Jayla etait reconnaissante au paladin de lui avoir ote ce qu'il lui apparaissait desormais comme un poids sur ses epaules.
Levant les yeux vers les differentes parures du temple, seules ses pupilles bougeaient, virevoltaient d'une fresque a l'autre. Calme... elle se sentait tellement calme... Il viendrait... Il ne pourrait pas en etre autrement...

Les volutes pesantes et familières hantaient la bâtisse en son sein, les encens bénis se mêlant aux fumées voletant depuis les cierges jusqu'aux arcades constituant l'ossature du temple, et attirant le regard du paladin, qui ajustant les gantelets gravés couvrant ses trousses de cuir tanné entonnait à voix basse ses psalmodiations couvertes par la puissance des dévots animant en choeur le lieu de leurs imprécations faisant vibrer alors qu'il émergeait des quartiers du prêtre la chair d'Ellamin, bien qu'il laissa paraître un air contrit, son regard se portant dès lors vers le dallage du temple, évitant les regards furtifs perçants depuis alcôves et piliers soutenant la structure, et accordant à l'érudit une mine plus sombre, qui se déroba alors que reportant les bras le long du corps et faisant de nouveau frôler le parterre de son jonc il entre-aperçut une entité familière, dont il n'accueillit la vision à quelques pas de celle-ci que d'un toussotement grave, et un regard torve.

*Hm, intéressant...*

Longeant une file de bancs, le paladin emprunta étrangement l'allée centrale, arpentée sous quelques regards indiscrets dissimulés par les ténèbres couvrant légèrement le sein du Temple, son bâton marquant ses pas à ses côtés, puis cessant son tumulte, alors que l'érudit toisait l'être dont il contemplait l'échine, pour enfin élever la voix, qui monotone sonna cinglante en la gorge d'Ellamin et l'air dans lequel tous baignaient, saturé en fumées et volutes acres.

"Svit Kona. Un long temps que ce sépulcre ne vous avait accueillie."

Son bras etait desormais a mi-chemin de la table sur lequel se trouvaient les bougies religieuses, la jeune femme peinant a sortir d'un engourdissement physique trop agreable pour que l'on puisse songer a en echapper. Un fin sourire etirait ses levres tandis que ses paupieres clignaient, distinguant de plus en plus mal ce qui se trouvait autour de leur proprietaire. La fumee se faisait de plus en plus presente... mais tout moment de torpeur a une fin. Et ce fut la voix de ce cher paladin qui resonna en l'occurence a ses oreilles. Ramenant alors sa main pres de son corps, la reine marqua un temps d'arret, silencieuse quelques instants avant de conserver ce sourire. Elle se sentait trop sereine pour pouvoir ressentir une quelconque colere ou apprehension. Cette conversation pourrait, qui sait etre la derniere, et il n'etait pas question de gacher ce moment. Au fond d'elle-meme, l'elfe noire pria cependant afin que cet entretien ne se termine pas mal comme tant d'autres auparavant.
Enfin, son buste pivota, precedant ses jambes, tandis que ses yeux se fixerent sur le visage du devot erudit. De haut en bas, elle fit parcourir son regard sur lui, avancant d'un pas. Sa voix, ferme, mais melodieuse et detendue avanca alors une reponse :

" Serait-ce un reproche que vous me faites, Glistern ? Ma presence trop peu exprimee en ces lieux ? "

S'arretant, elle joignit ses mains sur son ventre, tete penchee sur le cote.

"Loin s'en faut que je vous blâmasse de ne point être bigote, mais qu'une haute personnalité ne sacrifie son mouroir à la vision de quelques uns de ses gens et la demeure du Père Céleste, cela est une autre affaire."

Bien que n'en laissant rien paraître et ne pouvant jauger l'elfe noire à sa réplique suppurant quelque suspicion de provocation émanant de ses lèvres, Ellamin se contenta légèrement et en son for que la jeune femme considère les propos lui étant adressés, et cherche à les mesurer. Sa réplique cinglante lâchée, quelque regard torve s'attardant sur la souveraine du buste à sa crinière de jais, le paladin ravala quelque grommèlement et continua, ses yeux s'adaptant à l'obscurité de cette place particulière percée par la lueur fantomatique des cierges, et perçant par là jusqu'à la figure de la demoiselle.

"Mais est-ce bien la dévotion qui vous a mené ici, et permis de brûler un cierge dont le coût de la cire suffirait à nourrir ces misérables créatures vivant aux alentours de ce Temple?"

Jayla se retint d'affermir son sourire et marqua donc son approbation par un hochement de tete appreciateur. Belle reponse... Et realiste, de surcroit.

" Je ne crois pas devenir un jour bigote... Loin s'en faut... En revanche, j'avoue que quelques visites supplementaires en ces lieux ne seraient pas de trop... et pour Baal, et pour la population... et pour moi, egalement... "

Detournant un instant son regard du paladin, ses pupilles percantes fixerent un petit groupe de fideles encapuchonne au pas presse se diriger vers la sortie du temple. De nouveau, le bruit de l'actionnement des portes retentit un long moment sous la voute noire.
Reposant alors son attention sur Ellamin, Jayla le fixa droit dans les yeux non dans une attitude de defi mais par respect envers son interlocuteur. Sa seconde remarque suscita en elle une reconsideration de la chose... comme a son habitude, avec celui qu'elle considerait desormais comme son mentor...

" Pour etre honnete, la devotion ne pourrait expliquer qu'une partie de ma presence ici, vous avez vu juste... mais seriez-vous desireux de connaitre cette reelle motivation, Glistern ? "

Eludant volontairement le cout ridiculement exorbitant de tout le materiel religieux pourtant utilise sans aucune moderation, la souveraine agissait ainsi consciente que s'engager sur ce terrain ne leur apporterait rien qu'un debat impossible et ininteressant en l'occurence pour le moment. Faisant disparaitre quelque peu son sourire, l'elfe noire declara sans aucune hesitation inutile :

" Ce qui m'a pousse a rendre visite a notre Pere Celeste, c'est bien vous, paladin. "

Toisant tout du long la jeune femme au regard dont le paladin ne s'offusquait plus, écoutant ses répliques et étudiant ses mimiques avec attention, Ellamin adopta une mine circonspecte aux ultimes propos de l'elfe noire, dénotée par l'un de ses sourcils se haussant et accompagnant de ces regards fixes et froids qui ne cillaient point au creux de celui qui lui faisaient front.

"Allons bon, voici que vous en venez à m'associer directement à notre Père au détriment de votre bon larbin de Grand Prêtre, non que je ne puisse pas en être flatté, mais vous savez en quelle estime je tiens la flagornerie. Etrange que ce fut moi qui dut engager la péroraison alors que vous êtes celle qui étiez à ma recherche, en tel cas votre interrogation sur l'intérêt que je puis porter à votre présence en ce Temple n'a pas lieu d'être. Cela semble une fausse considération d'autrui, si vous ne m'en savez pas lassé par tous ces pontes serpentant ici, au moins pouvez-vous préciser la part de votre visite n'engageant pas notre Seigneur Baal."

Sa voix conservant son inconcevable neutralité malgré les quelques piques cinglantes délivrées dans son propos, l'érudit sembla demeuré pondéré, et en attente de quelques arguments qui pourraient expliquer plus avant les motivations de la souveraine, dont l'attitude davantage que les répliques menaient l'homme à considérer suspicieusement la créature lui faisant face, et dont l'ultime entretien qu'il lui accorda s'acheva de sorte qu'il n'ait pu en faire abstraction au fil des réponses que délivrait la demoiselle.

Ce fut a ce moment precis que Jayla Svit Kona joignit ses mains dans son dos, droite. Elle savait pertinemment qu'a partir de ce moment la, il lui faudrait jouer encore plus subtilement dans ses paroles, dans ses gestes, afin que ces derniers ne soient pas mal interpretes. En bref : elle n'avait pas le droit a la moindre erreur, sans quoi elle le payerait dans les secondes qui suivraient ce faux pas. Attentive, l'elfe noire fronca tres legerement ses sourcils, contrairement au paladin.

" Le Grand Pretre, comme vous dites m'est autant inconnu que les miserereux jonchant les paves des rues de Sowelo. Contrairement a vous, il se terre dans son abri religieux, dedaigne le monde exterieur, et semble faire preuve d'une derangeante etroitesse d'esprit, si vous voyez ce que je veux dire... Et sans vouloir vous offenser, bien sur. "

Tournant son visage vers une colonne de marbre noir tout pres d'elle, sa main vint s'y poser, caressant de son pouce la matiere qu'elle trouvait soyeuse et douce au toucher. Ses yeux y resterent accroches un moment, avant de revenir vers l'homme face a elle.

" De plus, je desire vous rassurer... Je n'use jamais de flagornerie... Il ne s'agit ici que de consideration, rien de plus et rien de moins. En clair, je vous estime. Mais ca, vous le saviez deja. "

Ses doigts abandonnerent la pierre pour revenir a leur place, noues a ceux de sa main gauche. Baissant les yeux mais son sourire renaissant, la souveraine reprit :

" Vous ne devriez guere etre etonne de ma capacite a perdre de vue mes objectifs de temps a autre... cette situation n'en est pas moins differente... Je desirais attendre votre venue, et me voila a bruler des cierges a votre pensee, dans le cas ou nous ne nous serions pas revus. "

Croisant de nouveau le regard scrutateur d'Ellamin Glistern, la jeune femme pencha quelque peu sa tete sur le cote en demandant :

" Puis-je encore eclairer vos lumieres, paladin ? Ou devrons-nous commencer la fastueuse 'ceremonie' des adieux ? "

Sous son air d'apparente tranquillite, sa serenite se faisait de nouveau assaillir par ses doutes, devorants. Seule a Sowelo....Mais elle n'en fit absolument rien paraitre, veillant a garder son maintien detendu.

Acquiesçant aux paroles de l'elfe noire au fil de son discours, rejoignant sur certains points préalablement abordés le côté de la pensée de la jeune femme par parties, Ellamin conserva le silence, même devant l'attitude, semblant assertir d'un esprit volatile, qu'adoptait la souveraine, toisée avec autant d'intérêt pour sa gestuelle que pour les propos articulés. Mais la dernière mimique arborée par la demoiselle, se mêlant à quelque réplique grinçante, acheva d'éveiller le paladin et son attention, suspicieux devant une forme de suffisance qui lui eut fait montrer les crocs si un point ne l'avait précédemment marqué.

"Adieu? Qu'est-il, vous préparez-vous à accueillir quelque assassin en votre demeure, ou bien en est-il un que vous désirez lancer à ma rencontre? Si nul de nous deux n'envisage mort ou exil, alors éclairez bien ma lanterne, en vous expliquant séance tenante, de ce que vous parliez non par énigme mais sans le moindre sens."

* Nous y voila... *

A present, elle devrait se montrer conciliante. Certes, le terme d'adieu etait peut-etre excessif, mais avec Ellamin Glistern... Elevant legerement la voix mais gardant une intonation amicale, l'elfe noire declara :

" Paix, paladin. Ne confondez pas colere et absurdite. Vous savez aussi bien que moi je n'utilise pas cette expression dans le cadre de l'intervention d'un quelconque spadassin. "

Inspirant profondement et affichant un visage plus neutre, desormais, la jeune femme reprit moins fortement :

" Je n'ai guere recu beaucoup d'informations en ce qui concerne votre depart, ni quel en est l'objet. Bien que je pense que nous nous reverrons, le terme d'adieu etait simplement utilise dans cette conversation dans l'eventualite ou une facheuse mesaventure vous serait arrive. J'ai toujours ete pessimiste, dirons-nous. "

Esperant que l'erudit ne prendrait pas ombrage une nouvelle fois de ses paroles, Jayla termina :

" Mais j'ai confiance en vous... vous nous reviendrez, comme a votre habitude. Et entier, j'espere bien... Je serais triste pour vous de vous accueillir avec la trace d'une fleche dans l'epaule. "

Malgre l'apparente derision avec laquelle elle semblait considerer cette declaration, la reine agissait ainsi par peur. Oui, par peur.

" Sans doute la perte d'etres chers m'oblige a voir les choses ainsi, desormais... "

"Trop aimable... Vos inquiétudes ne sauraient être justifiées que si vous aviez eu connaissance des raisons de mon 'départ', si je dois être corrigé d'une flèche, ce qui serait étonnant, ou mourir, c'est que je suis incapable de résoudre cette énigme, cela ne doit vous préoccuper davantage que vos hères, si ce n'est le Grand Prêtre, qui d'autre..."

Aux expressions qu'arborait et gestes de l'elfe noire, Ellamin semblait prendre à la dérision ses propos, et formuler sa réplique avec son austérité familière, mais il mesurait malgré tous ses mots, et appréciait d'autant plus ceux de son interlocutrice, qu'il jaugeait alors que ses doigts jaillissant fins de son gantelet ne couvrant que jusqu'à la première phalange erraient sur le bois de son bâton, reposant impérieux aux côtés de son maître s'amusant de ce qu'il lisait les gravures le parcourant.

"Néanmoins, je vous suis reconnaissant de vous préoccuper de mon sort, si la raison n'y trouve son compte, mon égo d'homme en est satisfait, je le reconnais. Mais gardez vous de me considérer au même rang qu'un être cher, je vous prie, Jayla. Nous avons déjà tous deux assez fort à faire, pour que votre esprit ne soit embrouillé par des considérations de la sorte, de même que le mien..."

La reaction du paladin eut un effet benefique sur les nerfs de la souveraine. Se relachant quelque peu, il n'en etait pas moins qu'une boule d'anxiete se nichait quelque part entre sa gorge et sa poitrine. Impossible a deloger... Pour le moment. Gardant son serieux, mais laissant percer un sourire a travers son regard, elle repondit :

" Il n'y a aucun besoin d'etre au courant de vos preoccupations quotidiennes pour se sentir inquiet a votre sujet, Glistern. Vous devriez commencer a en prendre l'habitude. Ou que vous passiez, vous etes soit haï, soit respecte. Et les individus faisant partie de cette derniere categorie ne peuvent que se sentir preoccupes par votre possible disparition en ces terres... qui serait fort dommage... "

Amusee interieurement par les tics qui agitaient les doigts de l'erudit, ses yeux resterent poses un moment sur la main qui les actionnaient avant de revenir se perdre sur le visage de leur proprietaire, pesant sa future declaration...

" Laissez donc là la raison, Ellamin. Juste quelques instants. Durant votre absence vous aurez largement l'occasion de vous en servir a juste titre. "

Surprise agreablement par le manque de l'habituelle hauteur dont faisait preuve son mentor, elle gardait profondement inscrite en elle cette conversation, afin de pouvoir y mediter tranquillement dans les temps a venir.
Abaissant le ton de sa voix jusqu'a froler le murmure, la jeune femme ajouta :

" J'avais oublie que votre force residait dans le fait que vous aborrhiez vous attacher a qui que ce soit... C'est sans doute ce qui me fait defaut, en effet... Je vous remercie de votre prevenance, mais il vous faut reconnaitre qu'il me sera difficile de chasser de mon esprit votre souvenir. Je l'assumerai. J'ignore ce qu'il en sera quant a vous. "

Avec un leger sourire resigne, Jayla se decida a ne garder en elle aucune paroles qu'elle aurait pu regretter de ne pas avoir declare a Glistern.

" Je suppose que pour vous, ce n'est que pure banalite de supprimer toute figure de votre memoire afin de ne vous concentrer que sur la... raison. "

"Haï des faibles, respecté de ceux qui savent m'en détacher, et se montrer reconnaissant que je les mène hors de cette voie ne s'élevant au-dessus de la fange."

La face tirée par un rictus, son regard plein, fixe et glaciale se noyant dans celui de l'elfe noire, Ellamin toisait l'âme de la souveraine, son expression et sa prise sur son jonc marquant une colère exprimée par la puissance courant dans son corps, et projetant avec violence sa réplique, qui achevée laissa l'air saturé plus lourd encore de silence, les choeurs semblant s'être éteint sous la sentence du paladin, qui reprenait, d'un ton plus posé, mais toujours étayé par un regard froid et profond.

"Je vous sais attachée à votre entourage, vos amis s'ils sont tels, vos parents, je connais votre visage, l'associe à cette âme particulière, qui est faible, nous le savons tous deux, vous avez consenti à mes avis, les ai-je porté selon vous sans raison? Cette dernière est la qualité suprême que j'accorde à l'Homme, vous le savez, elle est ce que j'ai de plus précieux en ce monde, vous le savez, mais en dépit de tout ce savoir n'est qu'inconscient, abandonné au profit d'une intuition commune aux lâches et aux misérables, cela je le sais, car je vous connais moi-même. Ma raison me pousse à vous parler, vous connaître, et vous faire souffrir si cela apparaît nécessaire. Un simple érudit n'aurait que faire de vous, de ce peuple, faibles, stupides, sans doute car il serait lui-même aveuglé par une stupidité sans nom inhérente à son monde, mais même si vous savez que je ne suis tel, votre esprit me considère de la sorte. Je vous parle, comme je parle à ce peuple, car je connais plus que des visages, des âmes, des vies, qui sont gâchées voire détruites, martyrs d'un autel dressé pour le compte de l'Idôle, celle des lâches, faibles et imbéciles. Si ce n'est cela que vous respectez, alors ce n'est pas moi que vous respectez, mais quelque illusion, chimère entrevue commune à ces autres bêtes, que je ne considère pas d'un regard, car les leurs ne me considèrent pas. Il fut une femme que je voulus aider, mais elle mourut quelques lustres de cela, emportée par l'ennemi de la raison, cela marqua la mienne, au risque de l'anéantir dans son sombre sillage, mais je tins. Si un jour cela vous est donné, peut-être contemplerez-vous la véritable nature de ma raison, déchiquetée tel le corps saccagé d'une jeune femme sur un champ de bataille, mais ce jour n'est pas arrivé, car vous n'avez l'âme purifiée par la Réalité, que je tente de vous apporter, sans y parvenir jusqu'alors. Au fond pouvez-vous vous rassurer de votre méprise sur mon compte, pour, si mon décès survenait, où mon esprit vacillait, n'avoir à regretter donc qu'une chimère."

Ne detournant pas le regard, Jayla percut le temperament habituel du paladin refaire surfarce, decelant la passion dans chacun de ses traits, dans chacune des intonations de sa voix forte et decidee. Elle garda le silence, ecoutant avec la plus grande curiosite la diatribe d'Ellamin, desireuse de chercher a percevoir chaque phrase, chaque mot, derriere lesquels on pouvait deceler tant de choses a la fois... L'afflux grandissant d'informations qu'elle recut en quelques instants ne la decouragea pas, au contraire. Laissant alors l'erudit reprendre son souffle, elle-meme impressionnee par le silence qui semblait faire echo a ce dernier.

" Il est difficile de parler apres vous... Neanmoins... "

N'ayant pas, ne serait-ce qu'une seconde, place son regard ailleurs que dans les yeux de Glistern, la reine avanca encore, reduisant la distance entre eux.

" Sachez que mes 'amis ' me paraissent a present des ombres. Je ne crois pas avoir, un jour, connu la veritable amitie. Et je ne suis pas sure de desirer la connaitre, etant donne l'etat dans leque le substantif que j'ai frequente m'a rendu. Quant a mes parents, ils sont morts et enterres... ainsi que dans ma memoire. Ils ne me seront plus d'aucune utilite, desormais et cela grace a vous. C'est moi qui vous suis reconnaissante de m'avoir libere de quelques unes des chaines qui m'entravaient depuis trop longtemps et emprisonnaient en moi tout discernement. Quant a la Raison, je ne peux qu'etre d'accord avec vous afin de declarer qu'elle est le bien le plus precieux de l'humanite, celle qui nous distingue reellement des autres especes animales. "

Percevant au loin le bruit de pas des derniers fideles sortant du temple, la voix de l'elfe noire se fit un instant amere.

" Mais quand je regarde autour de moi, je me dis que rares sont les etres qui meritent la distinction et le nom d'Homme... Je ne doute pas un instant en revanche que vous arrivez a lire en moi comme dans un livre ouvert... et ceux que vous appelez mes 'amis' ou encore mes 'parents' n'en ont jamais ete capables. "

Sa voix regagna de la puissance, laissant percer toute sa determination et la foi qu'elle avait en son discours.

" Vous devriez savoir que je n'estime pas seulement l'erudit, mais la personne qui se cache derriere cette sagesse. Il faut plus que la connaissance pour reussir a m'interesser a quiconque. Vous n'y avez pas fait exception. A mes yeux, vous etes le seul a connaitre et comprendre l'ame de notre religion, de notre peuple, de notre histoire, et je peux donc apprecier a juste titre la deception que vous semblez eprouver face a la decheance qui gronde au-dessus de nos tetes. "

S'interrompant, l'elfe noire se souvint de l'allusion faite a une certaine femme. Quelle emprise avait-elle eut sur le paladin ? A cette question, peut-etre n'en connaitrait-elle jamais la reponse. De plus, elle ne se sentait pas en droit de le questionner a ce sujet. Elle lui en etait deja trop reconnaissante de lui avoir devoile ne serait-ce qu'une part infime de son existence. Mais enfin, une lumiere dans son esprit s'eclairait...

" Je comprends mieux alors votre colere a me savoir sur un champ de bataille... "

A cet instant, son esprit fit la liaison avec une entrevue qu'ils avaient eue ensemble, dans ses appartements... et plus precisement, avec la fin de cette entrevue... qui provoqua un leger frisson dans son corps.
Jayla abaissa son regard qui se perdit quelque part vers le buste de son mentor, refusant de montrer ouvertement ce court instant de trouble.

" Ne soyez pas borne au point de vous devaloriser ainsi dans mon estime. Si vous veniez a mourir, nous perdrions tous beaucoup plus qu'une chimere...: Nous perdrions un bout de l'ame de notre civilisation... "

"Si je venais à mourir, c'est que l'âme de cette civilisation, ce monde, ne serait qu'illusion."

Silencieux et attentif tout au long de l'énoncé de l'elfe noire, le paladin ne cilla toutefois jamais, ses yeux demeurant portés sur la demoiselle, jaugeant toujours son attitude, fondue dans ses propos, appréciant les qualités d'un discours, réprimant les erreurs d'une idéologue, dont il accueillit néanmoins la fin de la péroraison avec un léger sourire.

"Tel discours me réassure néanmoins, si la conclusion est fausse, c'est le raisonnement qu'il faut apprécier. Celui-ci vous faisait défaut quelques temps de cela, si vous n'en êtes qu'à vos balbutiements, au moins pouvez-vous vous targuer d'avoir franchi le seuil... Mais prenez garde à ce que de telles considérations n'affectent pas votre esprit. Vous êtes encore trop faible pour supporter un raisonnement aux telles implications, quoi qu'il en soit le savoir vous fait défaut, et la Raison sans savoir a par le passé déjà mené l'Homme à l'horreur, la faiblesse menant à la peur, la peur à la rage, la rage au massacre, Ys en fut le témoin silencieux."

Soufflant alors que son bâton se levait puis revenait marteler brièvement les dalles, Ellamin s'avança vers l'elfe noir et appliquant sa main sur son menton haussa le chef de la jeune femme pour en chercher le regard, fuyant sur la fin de son précédent discours.

"Je suis néanmoins fier que vous ayiez réussi à parvenir à ce stade. Aussi, face à de tels efforts fournis, ne puis-je que vous féliciter, et désirer que ce périple à venir ne me soit pas fatal, ce serait dangereux de vous laisser seule sur telle voie."

Etrangement, l'érudit, même s'il lança par la suite son regard aux lourds battants closant le Temple, se permit de sourire largement, alors qu'abandonnant le visage de la souveraine sa main s'apposait sur l'épaule de cette dernière, l'étreignant sans force.

" Illusion... oui... vous avez peut-etre raison... "

Avec surprise, elle sentit un leger support faire remonter sans violence son visage vers celui du paladin. Ce support qui n'etait autre que la main de ce dernier. Inconsciemment, elle ramena ses bras contre sa poitrine, les croisant, dans une attitude de protection mais se redressant tout en essayant de fixer droit dans les yeux son mentor... et tentant desesperement et autant que possible de dissimuler son trouble a celui-ci, bien sur... Car, silencieuse, l'elfe noire se trouvait pour le moment dans l'incapacite d'articuler un mot, et une tentative aurait surement ete recompensee par un echec. Il y a certains instants dans une vie qui meritent que l'on garde le silence pour eux... et ce moment en faisait bien partie. Malheureusement pour la jeune femme, sa sensibilite trop exacerbee a son gout, dut subir le contact de la peaume de l'erudit, ayant glisse sur son epaule. Elle pria alors pour que son corps ne la trahisse pas, puis se decida enfin a reprendre la parole, agrementant son visage d'un sourire resigne.

" Soit... j'aurai essaye de mener un raisonnement correct du debut a la fin, et si j'ai echoue pour la conclusion, me voila rassuree de votre satisfaction momentanee. "

Reprenant une mine plus serieuse, Jayla s'adressa avec la plus grande deference au personnage imposant de corps et d'ame, devant elle.

" Neanmoins, je suivrai vos conseils du mieux que je le peux et tacherai de ne pas depasser ces fragiles limites. De toute evidence, cette infraction ne pourrait rien apporter a mon esprit de reflexion de positif... "

Sensible a ce sourire si rare qui effleurait les levres d'Ellamin, son corps se raidit malgre elle, non seulement sous l'effet de la main de Glistern qui la troublait bien plus qu'elle ne voulait l'admettre, mais egalement a la pensee qu'il pourrait ne pas revenir. Mais c'etait impossible... Un elan de passion l'etreignit, et elle dut se faire violence afin de controler le ton de sa voix, ne pouvant se retenir de se rapprocher d'un centimetre de plus, un souffle de supplication dans sa gorge.

" Vous devez revenir... Vous ne pouvez pas disparaitre... Votre mission n'est pas terminee. Sans quoi... sans quoi... "

Impossible de declarer ouvertement les veritables pensees dont le coeur est l'origine... Ne reste que le maniement habile des mots...

"... sans quoi, une part de l'ame de notre civilisation mourrait avec vous... Illusion, ou pas. "

[ Navree pour le retard... ]

"L'éloquence doit poursuivre l'idée, cela est une autre tare que j'aurai à coeur de corriger, quand ce me sera donné. Mais si elle suffit pour que le Père Céleste vous accorde attention, à votre niveau cela suffira, peut-être même pourrez-vous par son biais inspirer les augures les moins sombres s'attardant sur le sort qui m'est réservé."

Son sourire déclinant, et son visage inondé d'une neutralité brisée par la reflexion, Ellamin délaissa l'elfe noire, reportant le regard sur les cristaux siégeant au-dessus des massives portes du temple, irradiant les lieux de la symbiose feutrée de ses teintes obscures aux lueurs sanguines couvrant les cieux et les âmes, lancées depuis l'astre flamboyant au dehors, qui bientôt se révéla au paladin, alors qu'en un branlement couvrant un instant les psaumes chantés courant des alcôves aux portes de la bâtisse celles-ci se dérobaient, pour laisser l'érudit s'échapper du lieu, et se soustraire au regard de l'entité demeurant en son sein l'esprit affligé.

*Comment ce monde pourrait-il perdre ce qu'il sacrifia des siècles de cela?*