Notes de minuit

Invité

La nuit venait de tomber. Glacée. Elle avait établi son campement de fortune sur un terrain dégagé, entouré par de lugubres arbres, une morne végétation et quelques rochers. Pas de vent. Pas de silence. Le craintif crépitement d'un feu chétif, les hululements des nocturnes oiseaux de proies dans un brouhaha de bruits indescriptibles. Stridents, rauques, échos, oppressants. Les yeux fermés elle n'avait pas peur des ombres sinueuses, mouvantes. Elle n'était attentive qu'à son métronome – son cœur – et les notes émises par sa chalemie.

Imprudente certains diraient. Ceux à qui elle répondrait que si notre heure est venue où que nous soyons la mort nous trouvera.

C'était pourquoi elle travaillait en cet instant et lieu, sa nouvelle mélodie à la lueur du feu. Attirerait-il ou repousserait-il les créatures grouillant tout autour, il aurait de toutes façons son utilité. Quant à ses notes, elles n'étaient pas plus dangereuses que la chaleur d'un corps...

Doucement, la mélopée s'amenuisa. Dans l'accompagnement qu'était la vie alentour, une série de fausses notes craquaient. Le froissement des fougères, le crissement des feuilles et brindilles que des pas écrasaient. Plus proches.

Calmement, deux doigts enserrèrent une des lames à sa ceinture. L'instant peut-être de vérifier si les ouï-dire sur cet endroit étaient fondés.

Cette odeur, et les rais filant à travers les arbres, ne me trompent pas, pas plus que les grincements de crincrin, me cassant les oreilles autant qu'aux créatures de ces landes se faisant silencieuses, et m'énervant, ces branchages obstruant continuellement mon passage ne me rendant que plus caustique.
*J'ai déjà rencontré assez de chiards par ici, c'en est encore un autre??*
Je grommèle en étreignant toujours la poignée de mon gourdin, scrutant les troncs massifs élevés sur le passage et repaires de nombreuses menaces dont je préssens le regard prédateur, mais dans l'immédiat me demande plutôt pourquoi aucune bête n'a encore fait taire le saltimbanque qui s'amuse à nous briser les esgourdes, mais dont le campement me paraît à l'odorat et la puissance des lueurs à quelques pas.
"Voilà! Qui est donc le con qui..."

Invité

Elle se leva prestement, abandonnant sa chalemie au sol. Sourcils froncés, ses yeux cherchèrent à percer l’obscurité et discerner plus qu’une imposante masse entre les arbres. Sa main libre se posa sur sa ceinture, tandis que l’autre, lame toujours prête, resta contre sa cuisse. Il était inutile d’apparaître menaçante – pour le moment. Après tout, l’étranger ne s’était pas jeté sur elle – pas encore.

Alors qu’elle se décalait légèrement pour laisser passer la lueur émanant des flammes dans le but de mieux percevoir la face de cet « hôte » inopiné, elle répliqua finalement à cette semi et rustaude sommation :

« Permettez que je vous retourne la question. »

Elle avait tenté un ton calme, mais cela était sorti avec une intonation un peu trop sèche. Certainement parce que son cœur battait plus rapidement que d’ordinaire, que le sang pulsant dans ses veines se chargeait d’adrénaline, un peu plus à chaque souffle.

Quoi? Bien sûr, cette odeur de chair non-faisandée m'avait été perceptible avant que je ne puisse voir la ribaude, mais l'entente d'une voix aussi claire n'en finit pas de m'intriguer autant que la forme arborée.
"Ca change, de trouver autre chose que des cadavres ambulants, dans ce coin."
Je ris sottement sur le coup, abaissant le monstre de métal reposant entre mes mains, mais ne lâche pas cette femelle du regard, dont je sens les battements puissants de coeur, mais ne peux comprendre ce que cette bête ingénue trafique par ici.
"Vous faîtes bien des manières, autant ne pas paraître trop rustaud. Je suis mercenaire, fendeur de crânes pourris en ce cas pour le compte d'un vieil ahuri, et vous?"
Il ne me faut que quelques secondes pour percevoir de même des pièces tranchantes à portée de main de la femme, aux mains bien malingres et douces, celles des danseuses graciles et musiciennes passionnées qui croisèrent ma route et se plongèrent dans mes draps. Je ne m'inquiète pas, mais le retour à ces saveurs sucrées de mon passé sous les volutes du brasier dansant au coeur de la clairière me poussent à la méfiance, mon expérience me rappelant à d'autres rencontres aux auspices similaires mais épilogues plus amères.
*Une succube ou une banshee, si ça se trouve. Amusant...*

Invité

Après une sommaire observation elle plaça son regard dans le sien. Durant ses voyages elle avait rencontré bien d’étranges faciès. Celui-ci n’était qu’une nouvelle curiosité. Une certes loin d’être rassurante.

Sa constatation lui fit arquer un sourcil. Le rire la suivant la poussa à s’interroger sur la santé mentale de cet homme parlant de morts capables de se mouvoir. A l’instant où l’idée lui vint qu’il pût être la cause des frayeurs ragotées dans les villes – supposition lui paraissant des plus probables puisque qu’aisément corroborée par de saillants éléments – il poursuivit.

Un mercenaire donc. Pas si étonnant. Modérément rassurée par sa relativement saine civilité et l’atténuation d’une métallique menace, elle relâcha ses muscles.

« Je suis un ménestrel maniéré en voyage pour le compte de sa curiosité. »

Cette fois le ton était plus calme, contrôlé, percé même par une pointe d’ironie répondant à la déclaration. Trop souvent Rajal avait déclaré qu’elle avait des « manières » pour la railler.

« Curiosité éveillée par vos paroles. Combien de cadavres avez-vous occis dans cette forêt, mercenaire fendeur de crânes pourris ? »

La tournure lui tira un sourire, narquois, tandis que sa curiosité piquée au vif emplissait son esprit de questions et exigeait de voir, de comprendre.

"Non loin de la centaine, ces parages sont propices à l'exécution de brigands et scélérats de tous poils. Et y'a surement eu pas mal de guerre et de cadavres engendrés dans la région..."
Je réponds sur le champ, affichant un sourire modéré à l'interrogation de la ménestrel, celui-ci renforcé par les implications de mes propos, un beau lot de combats, mais de tragédies passées, hantant ces contrées. Toutefois, au comble de cet excès de virilité qui s'agitait en hallucinations dans mon esprit, je ne pus m'empêcher de questionner la femelle, en affichant une moue trahissant ma perplexité.
"J'ai connu pas mal d'itinérants, et aucun n'était seul. Je veux bien que ce soit un style, mais voyager en solitaire, surtout pour une femme, et maniérée de surcroît, est assez dangereux, non?..."
Question presque rhétorique, j'ai bien senti le métal reposant sur le flanc de l'inconnue, et la tension de son bras, mais alors que j'ai relâché ma poigne sur le pommeau de ma lame, je n'envisage pas encore de l'abandonner, tant le sourire mielleux de la ménestrel me laissait non conquis de ses motivations exprimées.

Invité

Elle écouta, moins attentive qu'elle ne l'aurait voulu. Légère déception. Pas d'anecdote ? Pas de formidable affrontement parmi cette centaine ? Pas de vantardise sur la façon dont il levait sa lame ? Un mauvais mensonge ou une intéressante vérité ?

Ses doigts repoussèrent une mèche derrière son oreille. L'autre main replaça le bois du manche dans son emplacement. Le métal de la lame reposa contre le cuir. Elle se détourna pour se rasseoir près du feu, sa chalemie sur les genoux, jetant un coup d'œil par-dessus son épaule. Notifier qu'elle ne cherchait pas à l'ignorer, simplement qu'elle n'avait pas l'intention de rester debout indéfiniment.

"Peut-être." Nonchalante réponse. Elle saisit sa besace et en sortit un mouchoir de linon dans lequel étaient enveloppées quelques figues séchées.

" Mais pourquoi se priver de voyager quand il existe des mercenaires balayant le danger comme des ménagères ? " Bref demi-sourire. " Qu'ai-je à craindre ? La mort nous trouvera tous un jour ou l'autre. Avez-vous toujours tué pour de l'argent ou de temps en temps pour le plaisir comme Minndur le Rouge ?"

Elle porta un fruit à ses lèvres tout en tendant la main supportant le mouchoir vers son interlocuteur. Alors que ses dents pénétraient la chair blanchie, elle s'arrêta. Elle entendait plus clairement à présent la faune tout autour. "Le mot suffit souvent à créer la chose." Maxime favorite de Selvik – le conteur de la troupe.

Je souffle en l'écoutant, pas par exaspération, mais afin de soumettre une esquisse de réponse à la menestrel le temps d'analyser sa propre réplique, bien vague. Elle s'asseoit, mais ne disposant moi-même de siège, je m'agenouille, sous le poids de mon épée notamment, scrutant le sol mouvant légèrement sous mes chausses. Tandis qu'elle tire ses amuse-gueules d'un bout de chiffon, elle discoure, et en vient sous le coup de ses propos à me souffler une reflexion, passant tandis que je fixe la femelle.
*Elle est abrutie, ou juste aussi fantasque que ses congénères??*
"Les mercenaires ne 'balayent le danger' que quand quelques cons le leur demandent, pour la plupart ce sonteux-même le danger sur les routes. Les boucheries et holocaustes sont monnaie courante, vous trouverez jamais un soldat responsable là-dedans, croyez-moi."
Je n'aime pas trop ça, mais bon, alors qu'elle me tend la main, j'avance la mienne massive pour me saisir d'un des fruits, en la remerciant de la tête, mais sans pouvoir détacher mes yeux de sa figure bien pâle.
"Je connais pas ce Minndur, mais je suppose qu'il était pas bien jojo... Héhé, je suis peut-être une brute, mais je pense pas être de son genre, ni du premier. Je travaille selon ce qu'on me demande de faire, et par necessité. 'Pas une tapette d'utilitarien ni un gros con d'Urgal..."
Portant le fruit à ma bouche, cachant une moue, je ris à mes propos, m'étouffant presque d'ailleurs, con comme je suis. La question de la femme m'ayant fait réfléchir sommairement, je m'attarde sur les détails de la profession de celle-ci, plutot que la mienne, et narquois la questionne en souriant.
"Même si ces routes étaient sûres, ça n'expliquerait, justement, pas votre présence dans ce bouge. Les menestrels ça suit les pseudo-héros de guerre, ou ça cherche les 'muses' dans des plaines puant la jonquille, pas le cadavre."