Sous l'égide des tours

Poussant l'une des larges et hautes portes cloisant la tour où demeurait l'Oracle alors que les gonds laissaient échapper un désagréable grincement, Ellamin parut dans la rue, précédant la semie-elfe, dont il s'assura d'un regard qu'elle le suive, sa mine s'aggravant légèrement alors que la luminosité s'intensifiait à mesure qu'il s'échappait des ténèbres du donjon, et fit quelques pas, martelant toujours les pavés de son jonc à mesure qu'il faisait claquer ses chausses couvertes d'écailles en fer afin d'offrier une menue protection.

"Sens tes pas s'appesantir, Sëya, le sol pavé de ces rues pourra te paraître bien moins meuble que celui de ta cellule. Toi qui n'a plus ressenti la terre ferme depuis un certain temps, assure-toi qu'elle ne se dérobe sous tes pas, de nombreuses personnes ont déjà arpenté cette voie. Elle s'use à mesure que nous la foulons du pied, en marchant ou à vive allure, alors que nous ne lui accordons plus d'attention. Metaphoriquement, nous pouvons en tirer un enseignement fort précieux, mais ainsi que je l'ai dit cela est pour l'heure trop abstrait pour toi. Mais comme ces pavés, si tu t'avises de ne pas prêter attention à mes ordres, je te ferais trebucher, et te renverrais dans ton fossé, orné de barreaux. Dès cet instant, en échange de cette liberté, écoute et vois. Découvre et dis-moi ce que tu ressens."

Se laissant guider par Ellamin, tout en écoutant ses paroles, Sëya se laissa aller dans ses sensations...
"Je ressens un etrange sentiment de liberté, sans pour autant l'être... Mon coeur s'emballe par l'enseignement que vous commencez à instaurer en moi, et mes pas se font legers sur ces pavés... Ces pavés, ils savent plus de choses que nous-mêmes... N'est-ce pas ?"

"Ils ne savent pas, des pavés restent des pavés, des objets façonnés par l'Homme, apposés par des êtres sans volonté, ils ne savent rien, car il n'y a rien à savoir. Tu perçois la liberté, mais ne la touche pas, comme toute chose, tant ces pavés que ceux qui les ont installés sur cette voie. Tu es un pavé, ignorant et inutile, sache-le. Le savoir fut receuillit sur du parchemin, ou demeurent par voie orale, mais tu n'as des oreilles que pour entendre et non écouter, alors que ces pierres n'ont rien. Ceux qui les ont foulé disposaient peut-être de savoirs, mais ce n'est pas en les arpentant nous-même que nous pourrons en disposer. Qu'entends-tu? Tu porte ton ouïe à ces pavés muet, et te rends sourde aux murmures des vivants, comme tous les vivants eux-même le font. Tu sens tes pas légers, et naturellement regarde tes pieds, mais oublie de porter ce regard en avant. Telle que tu es, tu ne peux prendre la mesure de la liberté."

Sëya écouta attentivement. Il avait raison... L'Oracle laissa alors ses sens s'ouvrir sur ce qui l'entourait. Elle n'avait jamais fait ca, non jamais, et ce n'etait pas une reussite... Elle n'arrivait pas à se concentrer...
"Dois-je me focaliser sur quelque chose en particulier ?..."

"C'est là que ta part de reflexion doit faire ses preuves. Nous pouvons tous reflechir, nous en avons la faculté, mais peu l'utilisent, peut-être le peux-tu, qui sait. Les devots ecervelés de Baal vouent un culte à la puissance irréflechie, ceux de Yam à l'absurde devotion à autrui, c'est à toi de cerner le point de mire dans ce qui t'entoure, entité physique ou metaphysique. A toi de cerner ce qui est inébranlable ou non, intemporel ou non, tente de te saisir de cette liberté si tu le veux, car ce qui fait tant défaut est de tout la volonté, quelle qu'elle soit. Comprends qu'il n'est de limites que celles que tu instaures toi-même."

Observant quelques passants distraitement, repoussant l'un d'eux d'un ample mouvement de bras lui faisant dévier sa trajectoire, Ellamin alors qu'il se tenait immobile toisait soudain la semie-elfe, une expression sérieuse sur son visage, achevant son discours d'un coup de son jonc frappant le sol, ainsi que s'il ponctuait un psaume qu'il énonçait avec ferveur.

L'Oracle aquieca d'un simple hochement de tête. Elle observa la nature humaine autour d'elle, tant de monde... Ca la perturbait... Cependant, elle préfera ne pas faire attention à la quantité de monde, mais aux caracteristiques attirant son regard et sa curiosité.
"Dites-moi... Pourquoi tant de personnes sont-elles armées ?..."

"Les armes ne sont depuis que les guerres se sont éloignées aux frontières guère plus que des symboles éculés de puissance dans les cités. En dehors d'un champ de bataille, portée à la ceinture, ou trônant sur l'échine, une arme n'est que dissuasive, du moins pour la majorité des créatures. Certaines n'hésitent pas à en user, mais ceux-ci sont rares parmi les citoyens, ce sont des artefacts de mort destinés à effrayer. Je n'en ai plus peur désormais, mais j'en porte une, pour ceux qui n'étant pas dans ce cas seraient tout de même tentés de l'oublier momentanément. En terres de Baal, les enfants du Père Celeste ont une forte tendance à brandir les armes, mais sans réel but. Ce sont les artefacts d'un culte de la puissance brandis par des impotents... Je ne saurais trop te conseiller de ne pas en avoir, sinon tu serais toi-même tentée de l'arborer avec trop de fierté en la désignant d'une main alors que trop tremblante pour l'utiliser, comme de trop nombreux fils égarés de Baal. Pour ma part, je leur ai trouvé une didacticité particulière, même si je les abhorre de par cette puissance biaisée qu'elles renferment."

Souriant, Ellamin désigna sa katzbalger, ne faisant apparaître depuis la garde que quelques centimètres de sa lame, puis la reportant totalement au fourreau, alors qu'il regardait les passants, les toisait eux et ces fameuses armes qui dans leurs fourreaux pendaient à la ceinture de créatures toutes plus ou moins miserables, leur statut se refletant à l'aspect de l'arme qu'ils arboraient.

Sëya écouta une fois de plus Ellamin parler. Elle l'avait plutôt connut autrement, et le fait qu'il lui enseigne certaines choses lui faisait étrangement plaisir.
"Où allons-nous ? Errons-nous simplement sans réel but a part celui de de voir la cité ?"

"Voir la cité?"

Saisi de colère, l'érudit s'approcha de la semie-elfe et la frappa avec force à l'épaule de la hampe de son jonc, se taisant alors que ses lèvres se pinçaient, retenant quelque juron, et que son regard s'immobilisait sur la novice.

"Que crois-tu, que je vais te mener à travers monts et campagnes alors que tu peines déjà à repousser la coquille de l'oeuf duquel tu éclos tout juste? Je te fais parcourir ces rues, car c'est cela le monde, une allée parcourue continuellement par ces êtres. Ce sont eux que je veux que tu vois en premier, car ils se sont fait maîtres des pavés qu'ils foulent avec dédain, mais c'est là une première vérité qu'ils rejetent: ils sont seuls serfs. Et tu es également dans le servage, toi qui ne voit en ces exercices qu'une promenade où ton esprit s'égare !"

"Ce n'est pas ce que je voulais dire à travers ces paroles !" protesta l'Oracle alors qu'elle massait son épaule douloureuse.
Levant les yeux vers Ellamin, elle était en colère. Certe, elle s'était mal faite comprendre, mais tout de même...

"Alors ressens le poids de chaque parole démesurée ! Tu t'oublies, mais je te rappellerai par la douleur à chacune de tes divagations, Sëya ! De la colère? Parfait, qu'elle te consume. Pour l'heure, tu ne sais qu'en faire, alors abaisse ce regard, et apprends."

Finissant son discours avec moins de frénésie que les premiers mots qu'il déclama, Ellamin s'adressait à la semie-elfe en premier lieu avec une voix puissante dont émanait une colère commune à celle de l'être, puis ainsi que si cela fut une autre leçon qu'il tentait d'inculquer à celui-ci, d'un ton plus posé.

L'Oracle ouvrit la bouche pour protester, mais la referma tout aussi tot. Ellamin était le seul qui pouvait l'instruire en ce moment, elle se devait de l'écouter. Elle avait parfois l'impression qu'il l'a traitait comme une gamine alors qu'elle avait une vingtaine d'années. Certe, face à lui, elle était plus jeune...
"Soit." repondit-elle tout simplement au bout de quelques secondes.

"Bien. Le silence est l'art de ceux dont la pensée transcende tout langage, et dont la soumission n'est vouée qu'à la perfection."

Sentant depuis qu'il lui avait proposé son égide que la semie-elfe n'appreciait son attitude, Ellamin, après qu'un léger sourire ait parcouru son visage, reprit.

"Tu es une enfant, quoi que tu en dises, car ton esprit n'est encore que puéril. Même si tu as des dispositions à apprendre, tu demeures une créature à l'âme jeune et immaculée. Mais tout nourisson que tu es, je désire te soumettre à une épreuve..."

Encore une fois, il avait raison. Sëya avait beau avoir vingt ans, elle ne connaissait pratiquemment rien... Reportant son regard vers Ellamin lorsque celui-ci lui parla d'épreuve, elle fut intriguée.
"Une épreuve ? Quelle épreuve, et pourquoi ?"

"Tu interroges sur la nature d'une chose totalement inconnue avant de t'interroger toi-même. Tu sais que tu n'auras la réponse à ta première interrogation avant d'y être confrontée, car toi seule pourra me dire ce qu'est cette épreuve. Pour ce qui est du second point, tu connais également la réponse. Elle est la raison pour laquelle tu te trouves dans ces rues en ma compagnie, Sëya."

L'incomprehension de l'Oracle ne surprit Ellamin, qui lui répondit, par énigme afin que son esprit puisse agir avec le temps avec davantage de célérité et de réussite à mesure qu'il le mettrait à contribution.

*Une cervelle encore trop lente, mais cela devrait passer.*

"M'oui... Oui, vous avez raison, je devrais réflechir un peu plus avant de parler..."
Laissant échapper un leger soupir, Sëya devait faire un peu plus attention et utiliser sa cervelle, sinon, à quoi ca servirait d'en avoir une ?...

"Bien, l'attention n'est pas innée, elle s'apprend, je suis bien aise de voir que tu commences à assimiler ces leçons, mais leur principe résulte sur la résonnance. Tu apprends, mais je te demande de comprendre par là même, de concert. Il n'est de frontière à l'esprit, seulement des limites que les petites gens s'imposent et ne transigent pas. Je te dis qu'il faut entendre et comprendre au même instant, car tu le peux, seule la volonté déficitaire peut faire obstacle, Sëya. Commençons donc un cours réellement instructif !"

Achevant son discours d'une pointe de véhémence, sa figure rude contemplant la semie-elfe, un regard sévère posé sur l'Oracle, Ellamin brandit son jonc à l'encontre de la jeune fille, la hampe frôlant sa joue, l'érudit ne souhaitant frapper physiquement son apprentie, que le simple instant de surprise qui eut put la saisir soit gravé dans l'esprit de la semie-elfe pour l'heure. Reposant l'extremité de son bâton au sol, le paladin se tut, en toisant davantage l'Oracle, puis se détourna d'elle l'enjoignant à le suivre.

"Allez, engage-toi. Une pause ne doit succeder à une leçon, alors que ton épreuve attend."

*Bien, elle voit ce qui fait sa faiblesse, il lui faudra revenir au fondement de celle-ci, si elle le peut, quitte à ce que sa raison défaille.*